Topique du retour du réel, le choc en personne



King Nine will not return (1960), épisode 37 de la série La Quatrième Dimension. Tunisie, 1943 : après le crash du bombardier B-24D Liberator, le capitaine James Embry se réveille seul en plein désert. Tous les membres de son équipage ont disparu sans laisser de traces : ni cadavres, ni le moindre signe d'une improbable survie. Où sont passés Kline, Blake, Kransky, Connors et Jiminez, les Cowboys du Bronx? Leur disparition est inexplicable (inacceptable). Tout cela échappe à la logique, sans compter le passage dans le ciel d’avions de chasse supersoniques, des F9F Cougar en usage seulement à partir de la Guerre de Corée. Ceux-ci mettent cependant Embry sur la voie « de la raison ». Il reprend bientôt conscience dans une chambre d’hôpital. États-Unis, 1960 : Embry a sombré dans un état cataleptique après avoir lu dans la presse que la carcasse d’un bombardier (celui de la mission dont il s’était involontairement désengagé pendant la Seconde Guerre Mondiale) avait été retrouvée dans le désert. Post-traumatisé, il souffre du syndrome du survivant.

Comme l'avion qui passe dans le ciel du film de Luis Buñuel, Simon du désert, les F9F Cougar sont ici le signe d’un débordement du réel en personne dans le monde du fantasme (ou l’inverse). La présence du motif chez Buñuel et dans la série de Rod Serling est peut-être également un signe : si la Quatrième Dimension relève génériquement de la science-fiction, son esthétique est plus fondamentalement celle du surréalisme et, dans la lignée de Buñuel, délivre en quelque sorte une autre « preuve esthétique du freudisme » (Bazin). Car le désert est un motif éminemment surréaliste (Dali, De Chirico, Ernst...) et une formidable scène de substitution répondant à la difficulté de représenter l’inconscient. Le désert comme équivalent de la sphère inconsciente déploie la scène traumatique dans sa plus grande pureté : surface d’inscription sans témoins (sans Autre) et au cœur du Moi (explorant les zones où il est absent à lui-même) ; région impossible, car elle fait tomber la différence entre le décloisonnement (l’espace illimité) et le cloisonnement (le plus redoutable des labyrinthes borgésiens). Dans la superposition du décor de l’épisode traumatique et de celui de sa reconstitution inconsciente, retournant au lieu du choc en personne, Embry a bouclé la boucle. La preuve : le sable retrouvé dix-sept ans plus tard dans ses vêtements.

Finalement, regarder un épisode de la Quatrième Dimension, c'est un peu comme de rêver que l'on rencontre Sigmund Freud en personne. Il va sans dire que les faits rapportés dans cet épisode sont inspirés d’une histoire vraie.


Jennifer Verraes